First Growth Real Estate Finance (FGREF) et le mystérieux rapport d’expertise

Sur ce blog nous décrivons régulièrement des opérations réalisées par la société Officiis Properties avec certains de ses actionnaires ou créanciers. Celle qui nous semble de loin la plus « discutable » (c’est un euphémisme !) est la coûteuse hausse du taux de 8,5% à 14% d’un emprunt réalisé avec une « partie liée » qui a entraîné des dizaines de millions d’euros de pertes indues.
Pour légitimer cette hausse de taux, Officiis Properties avait alors fait appel à un expert indépendant, la société First Growth Real Estate Finance (FGREF), qui avait remis un rapport... dont la communication a malheureusement toujours été refusée aux actionnaires. Pourquoi cela ? C’est l’objet de notre article du jour.
1/ Qui est First Growth Real Estate (FGREF) ?
Selon leurs propres termes « First Growth est une société de conseil créée en 2012 spécialisée en conseil en structuration et restructuration de financements d’immobilier commercial. (…) FGREF est une structure récente, qui a su s’imposer sur son marché grâce à sa force de travail, son savoir-faire technique, ses compétences et son professionnalisme ».
La société a été créée par Francesca Galante et Cyril De Romance, tous deux anciens salariés d’un fonds immobilier d’UBS. En 2009 UBS n’est pas au mieux de sa forme et décide de réduire la voilure. Francesca et Cyril essayent alors de voler de leurs propres ailes… mais comme l’indique L'Agefi, dans cette conjoncture « lever un premier fonds immobilier special situations est alors compliqué à mettre en œuvre ». Ils se rabattent donc sur le conseil. Et les affaires fonctionnent plutôt bien. La société française FGREF SAS, qui emploie l’essentiel de ses salariés dans le 1er arrondissement de Paris, ne publie pas ses comptes, mais la structure anglaise FGREF Limited a réalisé un Chiffre d’Affaires d’environ 2 millions de £ sur les derniers exercices, générant un résultat net d’environ 1 million de £ avec un taux d’impôt à faire pâlir de jalousie les entrepreneurs français (taux d’IS de 20 % vs 31 % en France).
Voici, pour finir, quelques opérations récentes sur lesquelles FGREF est intervenue :
- Conseil du fonds américain Ares Management dans le cadre du financement de l’acquisition de la Tour W. à la Défense (vendu par AEW),
- Structuration d’un financement de deux hôtels à Disneyland, pour le compte de UBM Development AG et Warimpex.
Pourquoi et comment la société FGREF est-elle intervenue sur le dossier Officiis Properties ? Un petit retour en arrière s’impose pour apporter quelques éléments de contexte.
2/ La « renégociation » d’un prêt et sa coûteuse hausse de taux (de 8,5% à 14% !)
Lors de l’opération de prise de contrôle d’Officiis Properties en 2015 un prêt d’actionnaires de 100 M€ est racheté avec une très forte décote (55%) par TwentyTwo Credit 1, société dirigée par Daniel Rigny (nous l’appellerons, par convenance, dans la suite de cet article le « Prêt TTC1 »).
En septembre 2016, à peine un an après le changement de contrôle, le taux de ce prêt est augmenté de 8,5% à 14%. Cette hausse de taux a eu des conséquences catastrophiques pour la Société et ses actionnaires : la Société a été ponctionnée de près de 60 millions d’euros d’intérêts (pour un prêt racheté 45 M€ par TTC1 rappelons-le !) depuis le changement de contrôle en 2015, soit autant de pertes qui ont affecté la Société et ses fonds propres.
Les circonstances dans lesquelles cette hausse de taux est intervenue soulèvent de nombreuses questions :
- Pourquoi en juillet 2015 aucun dirigeant ne s’est soucié de l’échéance prochaine (31 décembre 2016) du Prêt TTC1, que la Société n’avait absolument pas les moyens de rembourser compte tenu de sa trésorerie quasi-nulle ?
- Pourquoi le Conseil d'Administration a-t-il démarré la prétendue « négociation » avec TTC1 à partir de juin 2016 seulement, soit près de 12 mois après le changement de contrôle et 6 petits mois avant ladite échéance ?
- Comment le Conseil d’Administration s’est-il assuré que la « négociation » avec TTC1, qui est mentionnée comme une « partie liée » dans le rapport annuel, s’est déroulée au mieux des intérêts de la Société et non celui de l’actionnaire majoritaire auquel TTC1 reverse l’intégralité des intérêts qu’elle perçoit ?
- Pourquoi le Conseil d’Administration de la Société n’a-t-il pas envisagé de restructurer ce Prêt TTC1 dont la charge d’intérêts était insupportable par la Société, comme toute société normalement gérée l’aurait fait ? (la palette des options étant large : procédure de sauvegarde, abandon de créance sur une partie du prêt, conversion d’une partie du prêt en actions, etc.)
- Comment expliquer que dans un communiqué de presse daté du 27 mai 2016 la Société indiquait que TTC1 avait « confirmé son soutien financier à la société (…) pour une période d’au moins 12 mois » (dépassant ainsi l’échéance du 31 décembre 2016), alors que TTC1 a finalement renégocié en septembre 2016 une prorogation du Prêt au prix d’une coûteuse hausse du taux à 14% ?
- Comment expliquer que TTC1 avait souscrit en juillet 2015 des Obligations Convertibles de la Société au taux de 8,5%, qui semblait alors être le « taux de marché » à la fois pour la Société et TTC1 ?
Il ne faut pas être Polytechnicien – petit clin d’œil – pour se rendre compte que la société Officiis Properties qui, au mieux de sa forme, générait un résultat d’exploitation de 5 millions d’euros n’aurait jamais pu payer 20 millions d’euros d’intérêts chaque année !
3/ Un rapport censé justifier la hausse du taux de 8,5% à 14% mais que personne ne veut montrer !
Interrogée lors de l’AG du 14 septembre 2018, la Société s’est contentée, pour justifier cette invraisemblable hausse du taux, d’évoquer un rapport d’expertise établi par le cabinet First Growth Real Estate.
Curieux de voir comment un « expert » pouvait défendre un tel taux, et dans l’espoir de trouver quelques réponses à nos nombreuses questions, nous avons demandé à consulter de ce rapport. Malgré nos très nombreuses sollicitations la Société a bizarrement toujours refusé de nous le communiquer :
- Lors de l’AG du 14 septembre 2018 : « Pourriez-vous rendre public sur votre site web le rapport de First Growth Real Estate ? »
- Par courrier RAR du 6 décembre 2018 : « Compte tenu des suspicions très fortes détaillées ci-dessus, je vous demande par la présente de communiquer sur le site web de la Société ou de me permettre de consulter le rapport First Growth Real Estate afin de lever les doutes légitimes sur son contenu (…) »
- Par courrier RAR du 24 décembre 2018 : « Vous ne jugez pas opportun de répondre à ma demande d’accès au rapport de l’expert First Growth Real Estate, ni même d’argumenter du pourquoi d’un éventuel refus. Lors de l’AG du 14 septembre vous aviez pourtant clairement indiqué devant l’ensemble des actionnaires présents avoir demandé à cet expert l’autorisation de rendre public son rapport. Pourquoi un tel revirement de situation ? »
Ce refus de communiquer le rapport est de surcroît contraire aux recommandations de l’AMF (DOC-2012-05) qui requiert, en matière de convention réglementée que les sociétés se soumettent aux obligations suivantes :
« A. Inciter le conseil d’administration à nommer un expert indépendant lorsque la conclusion d’une convention réglementée est susceptible d’avoir un impact très significatif sur le bilan ou les résultats de la société et/ou du groupe ;
B. Mentionner l’expertise indépendante demandée par le conseil d'administration dans le rapport spécial et la rendre publique sous réserve, le cas échéant, des éléments pouvant porter atteinte au secret des affaires. »
La société Officiis Properties, qui indique fièrement depuis des années sur son site web que « seule une communication complète, ouverte et transparente permet de gagner la confiance des investisseurs », a-t-elle donc quelque chose à cacher ?
4/ Pourquoi s’obstiner à ne pas transmettre ce rapport ?
Dans les échanges que nous avons pu avoir avec eux – parfois par avocats interposés malheureusement – First Growth Real Estate et ses conseils ont toujours affirmé que leur rapport était absolument irréprochable. Que leur probité et leur professionnalisme ne pouvaient pas être questionnés. Pourquoi alors, ne pas avoir communiqué ce rapport ? Cela aurait coupé court à toute polémique et, surtout, cela aurait mis à mal une partie des arguments de certains minoritaires mécontents des performances désastreuses d'Officiis !
Le refus de communiquer le rapport de FGREF pourrait s’expliquer par i) l’inconfort de la Société et/ou de l’expert quant au contenu de ce rapport (le fond) et ii) « peut-être » également (soyons prudents à ce stade) par la nature même de la mission de FGREF et les modalités d’exécution de celle-ci (la forme). Nous reviendrons sur ce dernier point dans notre conclusion.
D’un point de vue méthodologique, il nous semble très probable que l’expert ait raisonné sur un échantillon de prêteurs tiers (type fonds Mezzanine) et non liés à l’actionnaire comme dans le cas d’Officiis Properties… rendant l’expertise totalement erronée car comparant des opérations qui n’ont rien à voir. Est-ce que l’information selon laquelle TTC1 était intimement lié à l’actionnaire majoritaire (et pas qu’un peu : il lui reverse l’intégralité des intérêts perçus !) avait été communiquée à FGREF par les dirigeants d’Officiis Properties ? Même question concernant le fait que ce prêt avait été racheté avec 55% de décote réduisant d’autant le risque du créancier…
Autre élément venant ébranler la défense des dirigeants et/ou de l’expert cherchant à justifier ce taux de 14% : la société TTC1 avait souscrit en juillet 2015 des Obligations Convertibles au taux de 8,5% sans trouver à redire quant au niveau de ce taux. Pourquoi considérer quelques mois après que le taux de marché était désormais tout autre ? Interrogé sur cette apparente contradiction, Pierre Essig n’a pas su apporter de réponse convaincante lors de l'Assemblée Générale du 28 juin 2019 : « Il n’y a pas de référence. Je ne sais pas ».
5/ Et maintenant ?
Devant cette même Assemblée d'actionnaires Pierre Essig indiquait être disposé à nous transmettre ce mystérieux rapport. Cet engagement, bien qu’il ait été tenu devant des huissiers, n’a bien évidemment pas été respecté. Pierre Essig a sûrement fait sienne cette célèbre phrase que l’on attribue à Jacques Chirac : « les promesses n’engagent que ceux qui les croient » !
L’énergie avec laquelle First Growth et la société Officiis Properties se sont battus pour ne pas transmettre ce simple rapport d’expertise a créé des suspicions légitimes i) sur son contenu bien évidemment, mais également ii) sur les conditions dans lesquelles ce rapport a été commandé et exécuté. Au-delà du rapport lui-même il nous semble désormais indispensable de savoir :
- Quelle était la mission précise de FGREF ?
- À quelle date cette mission a été proposée, négociée puis signée entre Officiis Properties et FGREF ? (était-ce avant/pendant/après la prétendue « négociation » entre TTC1 et Officiis Properties ?)
- Est-ce que l’information selon laquelle TTC1 était intimement lié à l’actionnaire majoritaire a bien été communiquée à FGREF par les dirigeants d’Officiis Properties ?
- Quels ont été les échanges entre les dirigeants d’Officiis Properties, ceux de TwentyTwo Real Estate/Scaprim et la société FGREF pendant la mission de cette dernière ?
La réponse à ces questions, et bien d’autres, très prochainement nous l'espérons...