Scaprim, la « cash machine » du groupe TwentyTwo Real Estate de Daniel Rigny

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Lors du changement de contrôle d’Officiis Properties en 2015, les nouveaux actionnaires majoritaires ont décidé d’externaliser sa gestion administrative et opérationnelle à des sociétés du groupe Scaprim qu’ils avaient racheté quelques années auparavant. Dans cet article nous vous proposons d’étudier de plus près l’histoire de Scaprim, l’évolution de son actionnariat, la rentabilité exceptionnelle de sa filiale d’asset management et, bien évidemment, les liens qu’elle entretient avec Officiis Properties. Et pour bien appréhender les différents intervenants mentionnés dans cet article, nous partageons avec vous l'actionnariat de Scaprim.

 

1/ Le développement de Scaprim grâce à un client historique : Powerhouse Habitat (ex-Selec) depuis 2000

Scaprim c’est d’abord la réussite entrepreneuriale d’un homme : Marius Leroux. L’histoire telle qu’elle est racontée par BusinessImmo est la suivante : Marius Leroux rachète en 1992, au début de la crise immobilière, une petite société du nom de Gemco, spécialisée dans la commercialisation de logements anciens. Après une dizaine d’années de croissance et de diversifications vers de nouveaux métiers c’est la consécration : la Deutsche Bank et les Caisses d’Epargne deviennent actionnaires du groupe qu’il a développé. C’est à ce moment-là que Daniel Rigny (qui co-dirige alors le fonds immobilier de la Deutsche Bank) croise pour la première fois la route de Marius Leroux.

Scaprim doit son fort développement au mandat, signé il y a plus de 20 ans, de gestion exclusif d’un parc de plusieurs milliers de logements qui appartenait à EDF. Ce portefeuille, qui s’appelle désormais Powerhouse Habitat, a régulièrement changé de mains :

  • Décembre 2000 : EDF décide de vendre sa filiale immobilière Selec, propriétaire de 12.800 logements situés principalement à proximité des centres nucléaires de production d'électricité. EDF reste toutefois le locataire principal desdits logements. Le repreneur de ce portefeuille est un fonds de la Deustche Bank, où officie alors Daniel Rigny.
  • Décembre 2006 : la branche immobilière de Deutsche Asset & Wealth Management (qui s’appelle alors RREEF) et LBO France rachètent la société Selec et son portefeuille de 10.200 logements (une partie ayant déjà été vendue à la découpe).
  • Juin 2013 : Daniel Rigny, après un passage chez Perella Weinberg (2007-2011), se retrouve à son compte. Il connaît désormais très bien le dossier, qu’il a suivi lors des deux premières acquisitions. Il va donc structurer sa reprise en trouvant deux nouveaux investisseurs : le family office Massena Partners et le fonds américain Farallon Capital Management, qui deviennent les propriétaires de Powerhouse Habitat, nouveau nom de cette foncière.
  • Décembre 2017 : Après une tentative d’introduction en bourse ratée, ce portefeuille de désormais 6.700 logements est revendu à un pool d’actionnaires institutionnels BNP Paribas Cardif, Société Générale Insurance et l'OPCI BNP Paribas Diversipierre. Nous vous expliquions dans un autre article comment Daniel Rigny et d’autres personnes s’étaient partagés à cette occasion la somme de 30 millions d’euros de Promote.

Quatre propriétaires différents en même pas deux décennies... mais toujours le même gestionnaire : Scaprim, qui bénéficie d’une exclusivité sur la gestion de ce portefeuille depuis la première vente en 2000. Compte tenu de la taille du portefeuille les honoraires versés sont assez conséquents :

  • honoraires d’Asset Management de 0,625% * TTC de la valeur des actifs,
  • honoraires de Property Management de 4,8% * TTC des loyers quittancés et de 4,8% TTC des travaux effectués,
  • des honoraires sur les arbitrages (acquisitions/cessions) au sein du portefeuille.

* Chiffres de 2015 extraits du document d’introduction en Bourse de Powerhouse Habitat

Selon nos estimations cela représente une « rente » de près de 10 millions d’euros de Chiffre d’Affaires chaque année pour Scaprim !

Et ce client historique, Powerhouse Habitat, aurait pu être encore plus rémunérateur si Daniel Rigny et ses équipes avaient réussi à exécuter le plan qu’ils avaient présenté aux nouveaux repreneurs. En effet ils indiquaient en 2018 « nous ambitionnons un triplement de la taille de son portefeuille à horizon de trois ans pour atteindre un patrimoine d'actifs immobiliers de 3 milliards d’euros ». Imaginez les millions supplémentaires que cela pourrait représenter en honoraires de transaction, mais également les honoraires calculés sur la base d’un patrimoine élargi et sur des loyers plus élevés !

 

2/ Le rachat de Scaprim par TwentyTwo Real Estate (Daniel Rigny) en 2012-2013

Lorsque Daniel Rigny crée sa société TwentyTwo Real Estate en 2012, il a deux projets en tête :

  • Le rachat du portefeuille EDF évoqué au précédent paragraphe, qu’il connaît parfaitement car le fonds de la Deutsche Bank qu’il co-dirigeait en a été l’actionnaire,
  • Le rachat de Scaprim, Daniel Rigny ayant bien perçu l’intérêt de détenir une société de services, dont une partie importante du Chiffre d’Affaires est « captive » grâce au deal avec Powerhouse Habitat.

Il propose donc à Marius Leroux, fondateur de Scaprim, de lui racheter ses parts en plusieurs étapes. La première se fait de façon assez confidentielle en novembre 2012, mais n’est annoncée publiquement qu’en septembre 2013, soit après la communication du rachat du portefeuille Powerhouse Habitat (ex-Selec) en juin 2013. Pourquoi avoir attendu près d’un an pour annoncer ce rachat ? Peut-être qu’il ne paraissait pas opportun de communiquer simultanément sur ces deux opérations :

  • d’un côté, Daniel Rigny, ancien de la Deutsche Bank, en train de négocier le rachat du portefeuille Selec face à la Deutsche Bank (son ancien employeur donc) comme vendeur, et
  • au même moment, ce même Daniel Rigny souhaitant racheter les actions Scaprim détenues par une filiale de la Deutsche Bank (Wepla).

Cette dernière opération se fera d’ailleurs grâce à un « portage » de Marius Leroux qui rachètera d’abord les actions en janvier 2012 à la Deutsche Bank, avec un crédit-relais, pour les revendre ensuite à Daniel Rigny en novembre 2012. La Deutsche Bank savait-elle que les actions qu’elle cédait « à prix d’ami » à Marius Leroux seraient revendues quelques mois après à Daniel Rigny, son ancien employé ? La structuration du rachat de Scaprim comporte de nombreuses anecdotes croustillantes et fera donc l’objet d’un futur article.

Peu de temps après le rachat initial de ces 40%, TwentyTwo Real Estate va monter à 70% puis enfin 100% du capital. Scaprim devient ainsi sa principale filiale et donne un peu d’épaisseur à un groupe qui n’avait alors aucun autre employé que Daniel Rigny lui-même.

La valorisation sur laquelle Daniel Rigny et Marius Leroux s’accordent pour ce rachat peut alors paraître particulièrement basse – 13 millions d’euros environ pour 100% des actions – soit à peine le montant des fonds propres comptables de Financière Scaprim au 31 décembre 2012. Marius Leroux, en contrepartie de cela, va devenir un partenaire d’affaires privilégié de Daniel Rigny. Ces bonnes relations vont d’ailleurs se matérialiser rapidement. En parallèle de la vente de Scaprim, la holding MLCI (Marius Leroux Conseil Immobilier) récupère 25% de la société luxembourgeoise Spark Invest et pourra ainsi percevoir quelques années après sa quote-part des 30 millions d’euros de promote touché sur Powerhouse.

Même si la valorisation de Scaprim est faible il faut tout de même débourser quelques millions pour ce rachat. En 2014 Daniel Rigny touchera plus de 4 millions d’euros dans un Trust domicilié à Guernesey, mais c’est fin 2012 qu’il a besoin de cette somme. Jamais à court d’idées quand il s’agit d’ingénierie financière, il va alors utiliser tous les outils à sa disposition :

  • Il va tout d’abord séquencer l’acquisition dans le temps, avec un rachat initial de seulement 40% du capital,
  • Le solde des actions est racheté de façon étalée dans le temps, de 2013 à 2017, et est financé en grande majorité par d’importantes remontées de dividendes en provenance de la holding française Scaprim Services (près de 6,6 millions d’euros de dividendes distribués en 4 ans),
  • En bon adepte de l’effet de levier, Daniel Rigny cherche un partenaire pour ne pas avoir à débourser le prix initial. Cette personne sera Frank Noël-Vandenberghe, fondateur du family office Massena, qui vient déjà de lui présenter ses clients investisseurs pour co-financer le rachat de Powerhouse Habitat. Ce dernier apporte donc 5 millions d’euros en numéraire en contrepartie de 30% de la société luxembourgeoise TwentyTwo Capital Lux, qui détient elle-même environ 87% de Scaprim Lux,
  • Grâce à des prix de souscription différenciés, Daniel Rigny va pouvoir conserver 70% du capital de TwentyTwo Capital Lux avec un investissement inférieur à celui de son co-actionnaire.

Ainsi, grâce à ces mécanismes financiers, Daniel Rigny met la main sur une société qui génère aujourd’hui 5,5 millions d’euros de résultat d’exploitation, en déboursant une somme limitée.

 

3/ Une véritable « cash machine »

La holding de tête basée au Luxembourg, Scaprim Lux, détient 100% de Scaprim SAS, qui elle-même chapeaute les filiales opérationnelles, dont les deux principales sont :

  • Scaprim Asset Management, qui a réalisé 13,1 millions d’euros de Chiffre d’Affaires et 3,7 millions d’euros de Résultat d’Exploitation en 2018,
  • Scaprim Property Management, qui a réalisé quant à elle 14,2 millions d’euros de Chiffre d’Affaires et 1,1 million d’euros de Résultat d’Exploitation en 2018.

Quand on analyse leurs comptes, ce qui ne manque pas d’interpeller c’est le montant des marges de la société Scaprim Asset Management : des marges opérationnelles 28 à 34% selon les années, bien meilleures que la plupart des sociétés, tous secteurs d’activité confondus, et ce, malgré d’importants flux vers la holding anglaise de Daniel Rigny (cf. point suivant). Retraitées de ces flux, les marges d’exploitation seraient même de 36 à 43% !

 

4/ D’importants flux vers la holding anglaise de Daniel Rigny

Comme nous l’avions indiqué dans un précédent article les sociétés du groupe Scaprim reversent à TwentyTwo Real Estate Ltd, holding détenue par Daniel Rigny, entre 1,4 et 1,8 million d’euros de commissions selon les années.

Compte tenu de leur montant, ces copieux honoraires ne peuvent décemment se faire qu’en transparence et avec l’accord des minoritaires du groupe Scaprim qui sont directement impactés par de tels flux sortants. Sont ainsi concernés :

  • les quelques salariés qui ont investi chez Scaprim Lux (essentiellement Philippe Couturier et sa holding luxembourgeoise Roma 18), mais aussi
  • Frank Noël Vandenberghe qui a aidé Daniel Rigny à racheter Scaprim en 2013 (cf. point 2/ ci-dessus).

 

5/ Comment Officiis Properties a perdu la gestion de ses immeubles au bénéfice de Scaprim

Avant l’été 2015 la gestion administrative et opérationnelle d’Officiis Properties était regroupée au sein d’une filiale à 100%, Züblin Immobilière France Asset Management (ou ZIFAM), renommée ensuite Officiis Properties Asset Management. Etaient alors salariés : Pierre Essig évidemment, un Directeur Financier, et précédemment une Office Manager, une Property Manager, etc.

Lors du changement de contrôle s’est naturellement posée la question du devenir de ZIFAM. Daniel Rigny ayant racheté peu de temps avant le gestionnaire d’actifs Scaprim, il a donc été décidé de résilier le contrat avec ZIFAM, de licencier les quelques employés – à l’exception notable de Pierre Essig, l’indétrônable capitaine du navire – et de signer un contrat de prestations de services avec les entités du groupe Scaprim.

Le passage d’une gestion interne à une gestion sous-traitée à Scaprim a eu d’importantes conséquences pour Officiis Properties :

  • La liquidation de la filiale société de gestion a généré une perte de plus de 500.000 euros (la valeur des actions ZIFAM intégralement provisionnée),
  • Officiis Properties s’est retrouvée avec comme nouveau Président, Philippe Couturier, qui ne percevait aucun salaire ou jeton de présence chez Officiis puisqu’il touchait l’intégralité de sa rémunération chez Scaprim. Avec une question légitime pour les actionnaires minoritaires d’Officiis Properties : quelle part de son temps affectait-il à la gestion de la société qu’il présidait ?*,
  • Le Directeur Général, Pierre Essig, qui touchait 240.000 euros par an d’Officiis Properties, a finalement rejoint Scaprim REIM en avril 2017. Une fois encore, on pouvait se demander quelle part de son temps il affectait à la gestion d’OFP suite à ce changement d’employeur*.

* Interrogés en Assemblée Générale sur la « proportion » de leur temps dédié à Officiis Properties, les dirigeants ont répondu de façon vague qu’ils avaient « dédié tout le temps nécessaire à la gestion de la Société, pour son meilleur intérêt ».

Selon nos estimations les honoraires versés par Officiis Properties à Scaprim ont dépassé les 8,5 millions d’euros pour la période 2015-2019 ! Souhaitant comprendre le niveau de prestations mises en face de tels montants, nous avions interrogé les dirigeants de la société Officiis Properties lors de l’AG du 28 juin 2019 :

« Sur le dernier exercice, notre Société a versé 2,8 millions d’euros à des entités du groupe Scaprim. Ce montant représente environ 30 employés à temps plein à un salaire brut annuel de 60.000 € + charges. Pouvez-vous nous indiquer si les entités du groupe Scaprim ont bien mis à disposition de notre Société l’équivalent de ces ETP ? »

Bien loin de répondre précisément à la question, les dirigeants ont préféré botter en touche :

« Les honoraires payés au titre des contrats liant la Société aux différentes entités du groupe Scaprim sont conformes aux pratiques du marché. »

 

6/ Quels enseignements tirer de tout cela ?

En analysant les deux opérations Powerhouse Habitat et Officiis Properties, on voit bien qu’un véritable « modus operandi » se dessine.

En 2013, la société Powerhouse Habitat est rachetée grâce à des fonds apportés par des investisseurs tiers (Farallon et Massena). Quatre ans plus tard, Daniel Rigny et TwentyTwo Real Estate ont touché :

  • la grande majorité des 30 millions d’euros de Promote,
  • d’importants dividendes et honoraires des sociétés du groupe Scaprim grâce aux ~10 millions d’euros de Chiffre d’Affaires annuel que ces dernières perçoivent sur la gestion exclusive de ce portefeuille*.

En 2015, la société Officiis Properties est rachetée grâce à des fonds apportés par des investisseurs clients de Massena. Cinq ans plus tard, Daniel Rigny et TwentyTwo Real Estate vont toucher :

  • un montant de Promote encore indéterminé (il dépendra de la sortie définitive du dossier et notamment la revente du dernier immeuble The Light House), mais qui pourrait se chiffrer en millions d’euros,
  • d’importants dividendes et honoraires des sociétés du groupe Scaprim grâce aux 8,5 millions d’euros de Chiffre d’Affaires cumulé que ces dernières ont perçu sur la gestion exclusive de ce portefeuille de 2015 à 2019*.

* Bien évidemment Scaprim a des charges qui viennent réduire les montants de Chiffres d’Affaires que nous indiquons, mais nous vous renvoyons au point 4/ ci-dessus pour se rendre compte qu’une partie importante des honoraires se transforme en résultat, en particulier chez Scaprim Asset Management.

 

Dans ces deux dossiers TwentyTwo Real Estate a investi des montants symboliques et obtenu en contrepartie un sacré retour sur investissement ! Le mécanisme de Promote et les facturations réalisées par les sociétés du groupe Scaprim sont donc les deux « cash machines » qui ont permis à Daniel Rigny d’amasser une fortune estimée à plusieurs dizaines de millions d'euros, dont nous reparlerons dans un prochain article dédié à la structuration de TwentyTwo Real Estate.

 

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A
Vous avez vu les avis Google de Scaprim ? c'est assez éloquent<br /> Je ne peux pas les recopier ici sinon votre blog se ferait attaquer pour diffamation :-)
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P
il parait que powerhouse habitat lorgne sur les logements sociaux ? a creuser je pense
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M
Luxembourg un jour, Luxembourg toujours...<br /> êtes vous certains que le président de scaprim Philippe Couturier détient une société là bas ?
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U
vraiment merci pour cet article, je n'ai pas tout compris à certains termes techniques mais j'ai appris de nombreuses choses sur nos chers actionnaires
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M
Alors ça c'est de l'article de fond !! Bravo au(x) rédacteur(s) !
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