Pierre Essig, Philippe Couturier et la complexe négociation du Prêt TwentyTwo Credit 1

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On vous parle régulièrement sur ce site d’un Prêt racheté par TwentyTwo Credit 1 (TTC1) - filiale à 100% de TwentyTwo Group Holding, elle-même détenue par Daniel Rigny - d’une valeur nominale de 100 millions d'euros, dont le taux a brusquement été augmenté de 8,5% à 14%, rendant la charge d’intérêts insoutenable pour la société Officiis Properties.

Un seul chiffre pour illustrer l’impact désastreux de cette hausse de taux : ce Prêt générait des intérêts annuels de plus de 20 millions d'euros pour une société qui au meilleur de sa forme réalisait un résultat opérationnel de 3 et 5 millions d'euros selon les années. Une disproportion totale qui ne manque pas d’interpeller. La question est donc posée : La négociation avec le créancier TTC1 a-t-elle bien été réalisée dans l’intérêt de la société et de l’ensemble de ses actionnaires ?

Pour resituer les différents protagonistes, voici la structure juridique du groupe et les flux évoqués dans cet article :

Officiis et TwentyTwo Real Estate

1/ Rappel de la chronologie de la « négociation » du Prêt

31 juillet 2015 : Des sociétés affiliées à TwentyTwo Real Estate et Massena prennent le contrôle d’Officiis Properties et rachètent le prêt du précédent actionnaire majoritaire avec une très forte décote (55%). Ce dernier a une échéance au 31 décembre 2016, dont personne ne semble se soucier (officiellement) à l’époque de ce changement de contrôle.

04 mai 2016 : TTC1, détentrice du Prêt, envoie un courrier à Officiis Properties qui indique que le remboursement ne sera pas demandé le 31 décembre 2016. Cette « lettre de confort » est nécessaire aux commissaires aux comptes pour arrêter les comptes au 31 mars 2016 selon le principe de continuité d’exploitation.

Juin 2016 : First Growth Real Estate Finance (FGREF) est approché pour rédiger un rapport d’expertise sur le taux de marché d’un prêt subordonné dans le contexte d’une société très endettée.

08 juillet 2016 : TTC1 envoie un nouveau courrier proposant de proroger le prêt en contrepartie d’une exorbitante hausse du taux à 15% et une garantie de rendement de 3 ans.

27 juillet 2016 : Remise du rapport définitif de FGREF. Sa conclusion indique que la situation d’endettement de la société et « l’absence de sureté hypothécaire justifient un taux d’intérêt élevé et très probablement supérieur à 15%. ».

Août/septembre 2016 : « Négociations » entre TTC1 et Officiis Properties. Celles-ci aboutissent à une amélioration symbolique de l’offre de TTC1 du 08 juillet : le taux passe à 14% (contre 15%) et la garantie de rendement à 2 ans (contre 3 ans dans la proposition initiale).

21 septembre 2016 : Le Conseil d’Administration d’Officiis Properties vote l’avenant définitif au Prêt TTC1.

Tout ceci pourrait ressembler à une négociation « classique » entre une société très endettée et un créancier... mais les choses ne sont évidemment pas aussi simples.

2/ Comment aurait pu/dû se passer la négociation avec le créancier TTC1 ?

Quand une société se retrouve trop endettée, elle a à sa disposition une palette d’outils juridiques et financiers :

  • Lancer une augmentation de capital, qui peut être en numéraire ou par la conversion d’une partie de sa dette,
  • Demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde permettant d’étaler les dettes sur 10 ans,
  • Négocier avec le/les prêteur(s) un abandon de créance, quitte à lui/leur donner une clause de retour à meilleure fortune si les résultats s’améliorent par la suite.

Laquelle de ces options a été retenue dans le dossier Officiis Properties ? Aucune. La dette a été maintenue en l’état alors que tous s’accordaient à dire qu’elle était difficilement supportable. Pire encore, le taux de cette dette qui étranglait la société a été augmenté de 8,5% à 14%, rendant son remboursement encore plus hypothétique qu’il ne l’était déjà.

3/ Un Prêt qui générait un rendement annuel supérieur à 31% !

Le taux d’intérêt du Prêt était de 8,5% pour le précédent actionnaire, mais compte tenu de la décote importante avec lequel ce Prêt a été racheté (55%), le taux de rendement annuel induit pour TTC1 était de 18,9% en 2015... qui est devenu un taux de rendement annuel de 31,1% après la hausse du taux intervenue en 2016 ! Difficile de faire mieux comme rentabilité.

Il semble très surprenant qu’à aucun moment les dirigeants d’Officiis Properties n’aient pris en compte cette décote et les rendements que cela induisait dans le cadre de la négociation avec TTC1, pourtant critique pour la société.

4/ Les véritables liens entre le créancier (TTC1) et l’actionnaire (REOF)

REOF I est l’actionnaire majoritaire d’Officiis Properties au travers de sa filiale REOF Holding, alors que TTC1 en est son principal créancier. Théoriquement, dans une négociation du taux du Prêt TTC1, l’intérêt de REOF (actionnaire) devrait donc être opposé à celui de TTC1 (créancier) :

  • si TTC1 devait abandonner, par exemple, une partie de son Prêt (abandon de créance), REOF en bénéficierait directement,
  • si, en revanche, TTC1 devait voir le taux de son prêt augmenter, REOF en pâtirait, car cela impacterait négativement le résultat net et donc les fonds propres de la société dont il est actionnaire.

Bizarrement c’est cette seconde option qui va être mise en œuvre : une hausse du taux d’intérêt de 8,5% à 14%. Comment expliquer cela ? La réponse se trouve dans l’actionnariat et la structure et de financement de ces sociétés luxembourgeoisesSi TTC1 est détenue à 100% par TwentyTwo Group Holding de Daniel Rigny, on découvre dans sa comptabilité qu’elle se finance à 100% auprès de REOF I, et surtout qu’elle lui reverse 100% des intérêts qu’elle perçoit d’Officiis Properties :

La société REOF I avait donc tout intérêt à voir le taux du Prêt TTC1 augmenter, puisqu’elle récupérait l’intégralité des intérêts grâce à ce petit montage.

5/ Une situation complexe à gérer pour Philippe Couturier et Pierre Essig

Depuis juillet 2015 Philippe Couturier est le Président du conseil d’administration d’Officiis Properties, mais il n’est pas rémunéré pour cette fonction : ni salaire, ni jetons de présence. En revanche il perçoit une rémunération au sein du groupe Scaprim … détenu à 70% par Daniel Rigny.

Cette démarche « bénévole » nous a fait nous interroger sur sa capacité à défendre les intérêts d'Officiis Properties dans le cadre d’une négociation avec des sociétés liées à son employeur Daniel Rigny. En réponse à nos questions, il nous a été indiqué que « la décision de M. Couturier d’approuver le Prêt TTC1 a été dictée par le seul intérêt de la Société et de ses actionnaires ».

Au gré de nos investigations du côté du Luxembourg, nous avons découvert qu’il était bénéficiaire d’un mécanisme de rétrocession d’une partie de la plus-value réalisée par REOF I. Ce schéma de Promote aurait clairement dû être porté à la connaissance des investisseurs et de l'Autorité des Marchés Financiers.

Pierre Essig, quant à lui, est le Directeur Général d’Officiis Properties depuis sa création. Quelle a été sa véritable implication dans le cadre de la négociation ayant aboutie à la hausse du taux du Prêt TTC1 ? Toujours est-il que quelques mois après - en mai 2017 - il est devenu salarié à temps plein d’une entité du groupe Scaprim, continuant à assurer ses fonctions de Directeur Général de la société Officiis Properties de façon bénévole. Aujourd’hui il occupe également les fonctions de « Directeur Gestion de Fonds Paris » chez TwentyTwo Real Estate, la holding de Daniel Rigny.

6/ Conclusion

Lorsqu’une société est très endettée, se pose naturellement la question de qui, du créancier ou de l’actionnaire, va devoir faire le gros de l’effort pour réduire cet endettement.

Dans les sociétés contrôlées par un actionnaire majoritaire, celui-ci cherche en général à négocier au mieux contre les créanciers. Ainsi, chez Rallye/Casino, Jean-Charles Naouri n’a pas hésité pas à mettre en sauvegarde sa holding Rallye pour étaler le paiement de ses dettes sur 10 ans.

Dans le cas d’Officiis Properties, l’actionnaire majoritaire était lié financièrement au créancier principal et à certains dirigeants... quel intérêt y avait-il à négocier trop ardemment ? Conséquence de cela, l’endettement d’Officiis Properties n’a pas été réduit : pas d’abandon de créance, pas de sauvegarde ou d’augmentation de capital. En revanche, et alors que la société était déjà étranglée par son endettement, il a été décidé d’augmenter le taux de son principal prêt de 8,5% à 14%. Allez comprendre la logique !

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